On parle souvent de la somnolence comme une des trois causes principales de la mortalité routière, mais au-delà du simple endormissement avec les yeux qui se ferment conséquence d’une importante fatigue, il existe différents états seconds dont les conséquences peuvent être lourdes quand on est au volant. Aujourd’hui j’avais envie de vous parler plus spécifiquement de l’autohypnose que peut provoquer la conduite automobile.
Hypnose et autohypnose : qu’est-ce donc ?
Quand on parle d’hypnose, la première image qui vient généralement en tête aux personnes qui ne connaissent pas bien cette discipline, c’est celle de l’hypnose de spectacle. Ces shows où l’hypnotiseur va faire faire un peu tout et n’importe quoi à des personnes sélectionnées dans la salle (non pas au hasard, mais parce qu’elles sont particulièrement réceptives à l’hypnose). Mais laissons Messmer et autres spécialistes de la question dans leur coin, ce n’est pas le sujet qui nous concerne aujourd’hui.
Au-delà des spectacles, l’hypnose est utilisée pour accompagner au changement dans le cadre d’une thérapie (soit dit en passant une des solutions assez efficace pour arrêter de fumer) ou même dans le milieu médical comme alternative à l’anesthésie. L’état d’hypnose est un état modifié de conscience qui se situe entre l’état de veille ordinaire et le sommeil, elle est dans ces cas là guidée par un hypnothérapeute.
A la différence des expériences accompagnées en cabinet de thérapie ou sur scène à l’occasion d’un spectacle, l’autohypnose est un état dans lequel on peut accéder tout seul. Nous ne sommes pas tous égaux face à la suggestion, par contre, nous vivons tous, plusieurs fois par jours ces états modifiés de conscience. Certains l’expérimentent régulièrement au quotidien sans même le savoir. Dans une activité répétitive, presque mécanique, sur laquelle on se concentre jusqu’à oublier ce que l’on a fait pendant un certain temps. J’aurais bien donné l’exemple du tricot, mais ça ne va pas trop vous parler, mais pour ceux qui font du running par exemple sur des itinéraires identiques tous les jours, ceux qui prennent les mêmes transports en commun tous les jours, ou un ouvrier à la chaîne qui fait une tâche répétitive, il peut arriver dans des cas bien précis d’atteindre un état d’hypnose plus ou moins long.
Vous ne voyez toujours pas le rapport avec l’automobile ? J’y viens …
Autohypnose et conduite automobile
Il est possible que vous ayez déjà vécu cette expérience sans mettre de nom dessus. Pour ceux qui vont tous les jours au travail, empruntant la même route, dans des conditions relativement similaires, il y a une forme de pré-conditionnement à cet état d’hypnose. C’est comme si notre cerveau se mettait sur le pilote automatique. Il en va de même sur les longs trajets relativement monotones sur autoroutes, notamment grâce aux régulateurs de vitesse et autres aides à la conduite.
De quelques secondes à quelques minutes de black-out, au réveil de cet état de micro hypnose vous vous rendez compte que vous n’avez pas de souvenirs du trajet (ou d’une partie du trajet) que vous avez effectué (et sans alcool pour les petits malins qui vont me dire qu’ils connaissent ça en rentrant de soirées alcoolisées, c’est mal en plus !). Vous vous souvenez juste que vous aviez l’esprit ailleurs, mais impossible de dire si vous avez doublé 2 voitures, 18 camions ou personne.
Dès lors qu’aucun incident n’est venu vous tirer brutalement de cet état, votre corps a fonctionné par automatisme, un mode « autonome » en quelque sorte, vos yeux sont ouverts, votre corps opère les manœuvres nécessaires, mais votre tête n’y est pas.
Dans la plupart des cas, ces moments de déconnexion sont sans conséquences puisqu’ils interviennent dans un environnement calme, ou dans une routine bien établie. Les problèmes interviennent généralement quand quelque chose vient perturber brutalement votre transe (ou votre rêverie), votre corps va alors percevoir l’urgence avec une intensité telle que vos réflexes ne seront pas les bons. Un peu comme si on vous lançait un verre d’eau au visage alors que vous dormiez paisiblement.
Ainsi si vous rouliez sur une autoroute peu fréquentée dans cet état, et que d’un coup une voiture venait se rabattre devant vous un peu trop rapidement en vous rasant les moustaches, vous pourriez donner un coup de volant vous menant directement dans le rail pour rien. Parce que le réveil brutal aura conditionné une décision inadaptée.
Certaines aides à la conduite, amplificateur du phénomène
En dehors de l’aspect routine d’emprunter la même route qui peut induire cet état second d’inattention, il y a aussi le fait de rouler à vitesse constante sur un long tronçon, comme c’est le cas sur autoroute avec le régulateur de vitesse.
Le ronron quasi identique du moteur régulé à un certain régime, la route que l’on fixe loin devant, sont autant d’éléments propices à ces phases d’état hypnotique. D’ailleurs certains se souviendront qu’il y a eu une épidémie de « régulateurs de vitesse fous » presque 15 ans en arrière. Des gens qui finissaient dans le fossé ou dans la barrière de péage sans avoir pu désactiver le régulateur (selon eux). Si dans certains cas, il est possible qu’un défaut électronique ait eu lieu, dans d’autres cas il est plus probable que les conducteurs soient entrés en transe et que le réveil un peu brutal les a menés dans le décor.
C’était en tout cas une des pistes envisagée par certains chercheurs de l’époque, mis en lumière par cet article sur Challenge en 2005. Je ne sais pas où en sont les recherches à l’heure actuelle. Ni qu’elles ont été les conclusions des enquêtes de ces faits médiatisés à l’époque.
Depuis sur les voitures les technologies ont évolué, et les régulateurs de vitesse sont désormais « adaptatifs », pour peu que le système soit couplé à un freinage d’urgence, cela pourrait palier bien des soucis entraînés par ces manques de vigilance.
L’hypovigilance est donc un effet de bord de l’apparition, et surtout du développement, des aides à la conduite, mais elles n’ont pas non plus tous les torts. Le conducteur se repose sur les différentes aides qu’il a à sa disposition : contrôle d’angle mort, régulateur de vitesse, maintien dans la voie… Il devient de plus en plus passif au volant et en oublie que ces aides ne remplacent pas sa conduite. Pour peu que le conducteur soit détendu en conduisant et que ses pensées vagabondent, il pourra entrer facilement dans cet état d’hypnose au volant.
Un état que j’ai déjà expérimenté
Si je vous parle de ce sujet aujourd’hui, c’est parce que moi-même j’ai vécu ces moments de déconnexion. Je l’ai constaté notamment plusieurs fois en ramenant des voitures d’essai vers leur parc presse. Le trajet est assez long (5-6 heures) pour ramener les voitures depuis l’Alsace, fait à un rythme cool (vu que le but est d’éviter les PV, car ça fait mauvais genre), tout ceci est propice à ce que le cerveau déconnecte sur le trajet (notamment sur l’A5 qui a un trafic fluide voire inexistant). A moins d’être pressé par l’impératif temps ou parce que la météo est catastrophique, dans ces cas là le stress inhibe cet état hypnotique qui n’est en fait qu’un état de relaxation. C’est d’ailleurs aussi pour cette raison que j’emprunte plus régulièrement la nationale sur une moitié de l’itinéraire, c’est plus sympa (moins cher) et bien moins monotone.
Je l’ai aussi vécu plus d’une fois au volant de ma voiture personnelle, depuis que je roule plus en « eco-conduite » qu’en course contre la montre, je suis beaucoup plus détendue au volant. Si le fait d’être cool au volant est mieux par rapport aux incivilités générées par des états de stress, il faut être conscient que cette « cool attitude » peut aussi mener à ces phases de relaxation que sont ces états d’hypnose au volant. Pour ceux qui ont l’habitude de téléphoner en conduisant (via le module main libre de leur voiture bien-entendu), vous pouvez avoir eu cette impression également, mais dans le cas présent il s’agit surtout d’une dispersion de l’attention, avec tous les dangers que cela peut comporter également.
Il faut donc rester vigilant, varier les rythmes, ne pas se concentrer uniquement sur la route devant nous mais penser à contrôler tout l’environnement aux alentours, bref garder une certaine tension dans son corps mais aussi une certaine vivacité de son esprit, et sinon envisager la pause histoire de reconnecter le corps et la tête.
Cette somnolence qui n’en est pas vraiment une, est donc à surveiller de près, car si certaines voitures vont se manifester d’une manière ou d’une autre si elle constate que vous fermez les yeux (Mercedes, Volvo, Volkswagen pour ne citer qu’elles…voir cet article sur les détecteurs de fatigue), l’hypnose au volant vous garde avec les yeux ouverts, moins facile à détecter.
Donc soyez vigilant pour vous et pour les autres usagers de la route (y compris tous les intervenants qui viennent dépanner et sécuriser votre trajet et se font percuter).
p.s : Merci à Fabrice Vasse, Hypnothérapeuthe pour les corrections apportées à l’article.
Un test avait été réalisé il y quelques années sous l’égide d’un institut de recherche sur le sommeil. Avec un conducteur parfaitement reposé, une voiture moderne et confortable, en respectant toutes les prescriptions du corps médical (nourriture, hydratation, repos réguliers,…), un trajet Paris-Marseille donnait sur les détecteurs plusieurs minutes de micro-sommeils ! Probablement proches de cet état d’auto-hypnose ? (Désolé, je n’ai plus la référence de l’article).
Mon expérience des longs trajets autoroutiers m’ayant amené à ce type de constats, j’ai remarqué que le respect de règles élémentaires du code de la route permettait toutefois de lutter (un peu) contre ces phénomènes.
Par exemple, de systématiquement utiliser la file de droite (donc de se rabattre après chaque dépassement), d’utiliser son clignotant à chacun de ces changements de file, sans oublier de passer systématiquement en feux de route ou de croisement selon les véhicules croisés.
Et pour ajouter une autre action, plutôt que d’utiliser le régulateur de vitesse en mode « cruise control », pourquoi ne pas plutôt le basculer en mode « limiteur » ? Cela impose d’appuyer sur la pédale d’accélérateur, mais sans le risque de dépasser par inadvertance la limite de vitesse.
Bien entendu, ces petites astuces de bons sens n’interdisent pas le coup de fatigue. Mais en dehors de ce cas de figure, cette activité maintient un minimum de vigilance.
Ah, oui… Inutile d’argumenter sur les atouts des véhicules anciens, ou plus sportifs, dont le bruit ou la rudesse sont censés maintenir éveillé. Pour en avoir eu de nombreux, je peux affirmer que (au moins dans mon cas), les bruits de mécanique, de pneus, les ronflements, couinements et autres remous d’air (Nota Bene pour les douillets: avec un cabriolet, on roule décapoté tant qu’il ne neige pas ou ne tombe pas une pluie diluvienne… Sinon, on roule en monospace) ne m’ont JAMAIS évité l’engourdissement ou la fatigue.
Il me semble simplement qu’au lieu d’auto-hypnose, cela génère plutôt un abrutissement ?
Mais je ne vois finalement pas de différence fondamentale…
Merci Raphaëlle pour cet article qui sort de l’ordinaire… Je me demande parfois la différence entre Miss280ch, qui se targue d’avoir un regard féminin sur l’automobile, et les autres blogs que je lis assidûment. Eh bien, voilà un début de réponse ! Un sujet moins « bagnolard » et instructif. Comme le sujet sur la façon de rouler en Suisse. J’aurais pu me faire capter par la maréchaussée helvète car j’ai roulé cet été sans feux de jour ni feux de croisement autour du lac de Neuchâtel.
Et pour confirmer le commentaire précédent, rouler en ancienne ne diminue en rien le risque de black-out… et pourtant, elle en fait du bruit ma vieille cariole !
Donc : « prudence et plaisir au volant »
Amen.