Actualité Coup de gueule

Fin de la commercialisation des véhicules thermiques en 2040, est-ce possible ?

diesel plein

La question n’en est pas vraiment une, je sais que si cela avait été le cas la majorité d’entre vous répondraient « non impossible », en fait il s’agissait du thème abordé ce mardi après-midi dans une commission du Sénat. Entre application du plan climat et définition de la Loi d’Orientation des Mobilités (LOM de son petit nom), il s’en passe des choses pour tenter de donner une ligne directrice au gouvernement présent, et ceux à venir, afin de définir les jalons des changements à mettre en place jusqu’à l’horizon de 2050 en France. La présentation du jour devait donc dire si oui ou non il semblait possible d’arrêter la commercialisation des véhicules thermiques en 2040.

Présentation du rapport d’enquête

C’est l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) qui était chargé de se pencher sur cette question et pour se faire ils ont travaillé sur le sujet avec le concours du CEA (Commisariat à l’Energie Atomique) et IFP Energies nouvelles.

L’Audition du jour permettait de rapporter le travail du groupe auprès de la commission des affaires économiques et de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. J’ai donc écouté ce qu’il se disait lors de cette intervention, histoire d’anticiper un peu à quelle sauce nous serons mangé avec la LOM. Il est inutile d’espérer que l’on va changer quelque chose dans la transition énergétique et climatique en cours, il faudrait sinon sortir des engagements pris lors des accords de Paris (à la Trump quoi, et en optant pour la politique de l’autruche).

By Richard Ying et Tangui Morlier (Own work) [CC BY-SA 3.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)], via Wikimedia Commons

On est encore loin de 2040, mais il faut d’ores et déjà se faire à l’idée que les véhicules à faible émission vont devenir incontournables dans le paysage automobile. Pour ceux qui pensent déjà tout fort « et les camions ? et les bus ? et… », ils sont eux aussi concernés par les évolutions à venir de la mobilité mais sur des technologies probablement différentes.

On pense notamment à des motrices fonctionnant à l’hydrogène pour remplacer certains trains roulant encore au diesel dans des zones où l’électricité ne peut pas être mise en place. Cela serait également le cas pour des bus de flotte (ceux des centres urbains), enfin toutes les flottes captives. Pour les camions c’est essentiellement une transition dans un premier temps vers de bio-carburant / bio-gaz qui est envisagé pour faire baisser leur impact.

Toyota bus hydrogène

Après une phase de transition où les véhicules particuliers hybrides, hybrides rechargeables (PHEV), Gaz, bio-carburant trouvent encore une place dans l’offre automobile, les scénarios se sont ensuite concentrés sur les solutions de véhicules électriques à batterie ou pile à combustible (hydrogène). Si cet avenir ne nous réjouis pas forcément, il ne faut pas oublier que les études se basent aussi sur le constat que dans un avenir plus ou moins proche, les hydrocarbures ne pourront plus être exploités comme ils le sont actuellement.

On a tendance à ne pas vouloir voir disparaître nos moteurs thermiques chéris, mais c’est sans compter sur la raréfaction de l’or noir (ou du moins les difficultés d’extraction de cette manne qui pourraient voir ses prix s’envoler en conséquence). Tout comme on a encore des freins sur l’électrique, alors que l’avenir pourrait très bien voir évoluer la technologie des batteries (notamment avec des batteries à électrolyte solide). Bref l’étude tient en compte ces facteurs là.

extraction plateforme pétrolière

Une transition coûteuse qui demande des changements en profondeur

La transition est déjà en cours, si la pompe a mis du temps à s’amorcer, le dieselgate bien malgré lui a eu pour conséquence d’accélérer les investissements mondiaux vers les véhicules électriques, et les clients finaux aussi. 34% de progression en Europe en 2018 et 25% de vente en plus en France sur cette période, même si le marché reste minuscule à l’heure actuelle, faute d’offre suffisamment riche chez les constructeurs, cela est en train de changer au fur et à mesure que les nouveaux modèles électriques débarquent sur nos territoires avec des prix de plus en plus attractifs (comme la très attendue Peugeot e-208 ou les VW ID3 en France).

Nouvelle Peugeot 208 - Salon de Genève 2019

265 milliards vont être investis dans le véhicule électrique à l’échelle mondiale dans les prochaines années, la Chine a elle seule a prévu d’investir 130 milliards dans cette solution de mobilité, quand les constructeurs français ne prévoient que 9 à 10 milliards d’investissement. Il faut dire que pour la Chine, l’enjeu est énorme aussi bien pour répondre aux besoins des véhicules circulant dans son propre pays, que pour maintenir sa position dominante en tant que fournisseur des technologies concernées dont les batteries (60% des batteries sont actuellement fabriquées en Chine).

Pour éviter de passer d’une dépendance des pays de l’OPEP à une dépendance des pays asiatiques (pour la fourniture de batteries ou de piles à combustible), la commission européenne a acté la constitution d’un « Airbus de la batterie », avec comme volonté aussi d’avancer sur la recherche de nouvelles solutions technologiques (pour optimiser l’efficience, mais aussi rendre les batteries moins nuisibles à l’environnement).

Reste qu’au niveau de la France, cette transition écologique sera, quoiqu’il advienne, coûteuse à mettre en place, d’une part parce que le gouvernement perdrait une grande partie des recettes de la TICPE (ce qui représente environ 37.7 milliards pour un estimatif de 2019) mais en plus que les coûts d’infrastructure peu importe les scénarios testés seront compris entre 30 et 100 milliards d’euros. Elle devra en plus entraîner une mutation profonde de la filière automobile qui touche directement ou indirectement près de 2 millions d’emplois. Un casse-tête économique qui risque d’animer encore plus le débat.

Visite usine Skoda Mlada Bolestav

Des recommandations pour accompagner au changement

Les conclusions de l’étude sont malgré tout assez sages (à mon humble avis) puisqu’elle se termine sur le conseil d’agir avec prudence en impliquant tous les acteurs. Plusieurs préconisations ont été énoncées également :

  • Conserver la neutralité technologique du gouvernement, même si après le coup du diesel on a un peu de mal à croire qu’ils ne risquent pas de nous pousser trop tôt vers des technologies sur lesquelles nous n’avons pas assez de recul. l’objectif est quand même de rassurer le consommateur et de l’informer, tout en accompagnant aussi la transition en douceur (avec dans un premier temps un panel de motorisation plus propre).
  • Eviter la dépendance à l’Asie concernant les batteries (mais aussi les véhicules complets), mais ça j’en ai parlé juste au-dessus.
  • Anticiper les questions de recyclage des batteries (création d’une filière d’entreprises en France pour traiter ces nouveaux « déchets », avec une récupération du lithium et autres métaux rares) et développer une offre de services pour donner une seconde vie aux batteries de plus de 10 ans.
  • Développer les infrastructures. Même si le nombre de prise a augmenté passant à plus de 240 000 sur tout le territoire, seulement 26 000 sont d’accès public, le reste concerne les particuliers (85 000) et les entreprises (125 000). Selon l’étude 65% des particuliers pourraient charger chez eux (note de l’auteur : j’ai un léger doute sur la réalité de ce chiffre quand même), mais il faut pour cela faciliter les procédure de « droit à la prise » et en réduire le délai notamment.
  • Simplifier la recharge sur son lieu de travail, car si le particulier ne peut pas recharger chez lui peut-être pourrait-il le faire sur son lieu de travail (enfin ça veut dire qu’il va au travail seul dans sa voiture… no comment), mais pour le moment la mise à disposition de prise reste un exercice comptable compliqué car l’entreprise est censé refacturer l’électricité, à moins qu’il s’agisse d’un avantage en nature, dans les deux cas cela engendre des questions comptables et fiscales, que le gouvernement souhaiterait simplifier.
  • Informer les collectivités sur l’utilité des bornes électriques, leur manque de rentabilité est actuellement un frein au développement de prises publiques (avec de nombreux opérateurs pas toujours fiables).
  • Rassurer sur les impacts du parc automobile (VE) sur la production électrique. Selon les experts, il n’y aura pas de black-out si le parc automobile passe à l’électrique, il restera des moments sensibles mais qui pourraient être largement minorés si un pilotage des recharges est fait (recharge en heure creuse notamment). Selon les scénarios prévus, pas de centrale nucléaire supplémentaire non plus, d’ici à 2035 le nucléaire ne représenterait que 46% de la production d’énergie contre 50% en énergie renouvelable (ENR).
  • Maintenir les aides à l’achat, en suivant le modèle norvégien pour continuer à rendre attractif les VE, au moins le temps que les volumes jouent sur le prix de vente des véhicules.
Tesla Model 3 Dual Motor Grande Autonomie

Vous aurez remarqué que les préconisations concernent les véhicules électriques à batterie et non ceux à pile à combustible. Le prix des véhicules et les coûts d’infrastructure pour l’hydrogène (1 million d’euros seraient nécessaire pour une station de recharge) sont pour le moment un frein au développement de l’hydrogène en France pour les véhicules particuliers.

toyota mirai - Bernard Rouffignac

Pour répondre à la question posée en titre, selon cette enquête la réponse est « oui il est possible d’envisager la fin de la commercialisation des véhicules thermiques en 2040 ». Reste que des enjeux économiques énormes se jouent, et qu’il faudra que ni les salariés de la filière automobile (et connexe) ni les milieux ruraux ne soient lésés dans l’histoire, est-ce possible sans casse ? On peut encore légitimement en douter.

Mise à jour au 12/06/2019 : L’Assemblée nationale a voté le 11 juin l’objectif de la fin de la vente des véhicules à carburants fossiles (à essence, diesel et au gaz naturel) d’ici à 2040. L’article du projet de loi d’orientation des mobilités (LOM) a donc été adopté par 62 voix « pour », 6 « contre » et 17 abstentions.

A propos de l'auteur

Portrait Miss280ch 350z

Raphaelle

Avoir des chromosomes XX n'empêche pas d'apprécier les voitures et les belles mécaniques, bien au contraire. Je pense même que cela permet d'apporter un regard différent sur le secteur automobile, sans pour autant devoir se limiter à commenter la palette des couleurs des citadines.

J'ai grandi baignée dans l'univers automobile, je me suis fait plaisir avec des sportives raisonnables, j'ai passé des heures voire des week-ends au sein de clubs automobiles. Depuis maintenant plus de 7 ans, j'édite seule le site Miss280ch. Entre coups de coeur et coups de gueule, je m'exprime souvent sans langue de bois, mais toujours avec humour et honnêteté.

Basée en Alsace, je profite de l'Autobahn illimité pour taquiner les VMax des voitures ou des Vosges pour tester les châssis ... ce terrain de jeu est parfait.

4 commentaires

  • Merci Raphaëlle pour cet éclairage et cette prise de recul. Cela permet d’y voir plus clair et de mieux appréhender cette révolution. Reste à voir si la production automobile et d’électricité suivront.

  • 85 députés se sont donc exprimés sur cet article du projet LOM. Sur 577 au total ça fait quand même très peu compte tenu des enjeux.
    Preuve une fois de plus que la population ne représente pas grand chose à leurs yeux. Ils s’en battent les c….

  • A propos des autobus urbains, au 1er janvier 2020 les appels d’offres devront à-minima comprendre 50% de véhicules dits à « faibles émissions ». En clair : GNV (avec approvisionnement minimum en bio-méthane via certificats d’origine fournis par les énergéticiens et distributeurs) et électrique.
    En 2025 : ce sera 100% des appels d’offres qui devront s’y conformer (avec hausse du ratio de bio-méthane pour l’approvisionnement des autobus GNV).
    Seul « détail » oublié par le législateur en 2015 (merci Ségolène) : un bus électrique c’est 2x le prix d’un bus Euro VI (hors coûts d’infrastructure de recharge et aménagement obligatoire des dépôts pour le stockage des autobus à batteries) le tout sans aides à l’achat. En clair : étranglées par les montants de l’addition, les collectivités n’auront d’autre choix… que de faire durer leurs parcs anciens. Un contresens environnemental absolu.

    Comment étrangler les collectivités locales à coup de « bonnes intentions ». Cela rappelle l’épisode tragi-comique de la loi sur l’accessibilité…

  • Tout d’abord bonjour à toutes et tous, et meilleurs voeux je m’interroge quand même encore sur tout un pan de la population : ces gens qui vivent en appartement sans garage, ces gens qui habitent des maison des rue sans garage ?
    comment font ils pour recharger leur voiture électrique si chèrement acquise ??
    Et on est d’accord, qu’on parle de voiture électriques non polluantes, et non de voitures nucléaires à l’empreinte indélébile ?!…
    Ah moins que toute cette population prenne les transports en commun… Auquel cas mon commentaire est nul et non avenu…
    Merci de m’avoir lu !
    Bonne journée !
    Jean-Yves

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